samedi 8 septembre 2012

LETTRE OUVERTE À OLLANTA HUMALA

Traduction de la Lettre ouverte au Président du Pérou, Ollanta Humala, publiée recentement par l'écrivain péruvien Alfredo Pita. À propos de cette lettre, le journal liménien La Primera a interviewé l'auteur: Un deber moral.


UNE LETTRE URGENTE
AU PRÉSIDENT DU PÉROU


Monsieur le Président,

Le 3 juillet dernier, la Gendarmerie péruvienne et des soldats de l’Armée de terre ont tiré à l’arme de guerre contre de simples manifestants à Celendin (Cajamarca), ma ville natale. Cette fusillade criminelle et sélective a fait quatre morts dont un adolescent et des dizaines de blessés. Le même jour, à Bambamarca, les tirs assassins de la police ont fait une cinquième victime. Et un mois plus tard, Commandant Humala, votre gouvernement prolonge l’état d’urgence, c’est à dire les conditions pour que de tels bains de sang se reproduisent impunément.
Les événements du 3 juillet ont marqué le sommet d’une vague de violence et d’agressivité sans précédent contre la population de Cajamarca de la part de la gendarmerie et de l’armée que votre gouvernement a envoyées dans la région pour la militariser et intimider les habitants qui s’opposent à l’exploitation minière dévastatrice pratiquée par Yanacocha dans cette zone. « Pourquoi nous traitez-vous comme ça ? », implorait une humble mère de famille au milieu d’une pluie de balles, de coups de crosses, de coups de pieds et de poings des gendarmes lors d’une manifestation à Cajamarca. «Parce que vous n’êtes que des chiens, Fils de pute ! » lui a aboyé rageusement et avec haine le militaire qui l’attaquait. C’est depuis lors que flottent dans ma tête des questions que j’aurais aimé vous poser directement, Commandant Humala : Est-ce là toute la considération que porte votre gouvernement à la majorité des Péruviens ? Sont-ce les consignes données par le pouvoir à nos soldats et policiers dans le traitement de leurs frères ? Qui leur a donné l’ordre d’attaquer et de tuer de la sorte ?
A cette tragédie s’ajoute une ironie cruelle. L’an passé, ces morts, ces blessés avaient voté massivement pour vous, pour que vous soyez le Président du Pérou. Ils ont voté pour vous et pour l’espoir, à cause de la promesse que vous aviez lancée, librement et sans contrainte, sur les places et les tribunes, de les défendre contre l’empire de l’exploitation minière sauvage et ses pratiques macabres d’intimidation sanglante, de violence et de corruption. Ces victimes ont donc été victimes de celui qu’elles croyaient être leur sauveur.
J’aurais aimé vous écrire, Monsieur le Président, pour vous saluer et vous féliciter pour votre première année de gouvernement et l’accomplissement strict du programme promis à vos électeurs, à notre pays, mais vous le comprenez, cela m’est impossible. Je dois néanmoins vous avouer que je nourrissais l’espoir que dans votre récent Message à la Nation non seulement vous nous expliqueriez les politiques ambigües, erratiques et opportunistes que votre gouvernement applique depuis que vous êtes au pouvoir, mais aussi, et surtout, que vous donneriez une explication cohérente et demanderiez pardon à Cajamarca –par l’annonce de sanctions- pour les crimes de Celendin et Bambamarca, actes barbares et inimaginables dans toute société civilisée. C’est la raison pour laquelle j’ai attendu jusqu’au dernier jour de juillet et même la première semaine d’août dans l’espoir d’un sain réajustement. Rien de tout cela n’est arrivé.
Si vous et votre gouvernement croyez que Cajamarca est un coin perdu du pays que l’on peut humilier et mépriser impunément, vous commettez une tragique erreur. Dois-je vous rappeler que par le passé, nous avons été sous occupation militaire à deux reprises : en 1882 pendant la guerre contre le Chili, et en 1932, après la révolution de Trujillo ? En tant que fin connaisseur de notre histoire, vous n’ignorez pas que Cajamarca a livré la dernière bataille victorieuse face à l’armée des envahisseurs chiliens, que les jeunes lycéens de Cajamarca, menés par Gregorio Pita, José Manuel Quiroz et Enrique Villanueva, ont sacrifié leur vie à San Pablo en défendant leur terre, leurs idéaux et leur patrie. Rien de tout cela n’est oublié. Et en 1932, faisant fi des risques, les habitants de Celendin ont protégé les révolutionnaires pourchassés et ont sauvé, entre autres, la vie de l’écrivain Ciro Alegria, qui allait être fusillé par les sbires de la dictature. Vous devez le savoir, Cajamarca sait résister, et ne manque pas de tradition où s’inspirer.
J’ai hésité avant de vous adresser cette lettre ouverte, conscient que le genre épistolaire n’est plus de mode. Les événements péruviens, et ceux de Cajamarca en particulier, conséquence de la volonté évidente de votre gouvernement d’imposer le projet minier Conga, illégal dès son origine, me l’imposent de façon urgente et sans retard. Il est évident que s’il n’y a aucun réajustement immédiat de votre gouvernement dans le conflit actuel, les coûts, sur tous les plans, pour le Pérou et pour Cajamarca, seront terriblement élevés et cruels. C’est pourquoi je vous prie d’y réfléchir y de revenir à votre programme de gouvernement originel. C’est la seule issue. Personne ne vous demande de faire la révolution, mais seulement de tenir honnêtement parole et de revenir à votre programme de vrai changement qu’une centaine d’écrivains et d’intellectuels avons approuvé, soutenu et contresigné comme garants. Le peuple péruvien vous a donné un mandat sacré que vous avez le devoir moral de ne pas trahir.
Arrivé à ce point, Monsieur le Président, il ne me reste qu’à vous demander de bien réfléchir aux conséquences qu’il y aurait pour vous et pour votre gouvernement à vous obstiner à imposer un projet que la majorité de la population de Cajamarca rejette de toutes ses fibres après s’être documentée, et non par haine bornée de la modernité et du développement comme veulent le croire certaines personnes malintentionnées et trop intéressées. L’expérience lui appris jusqu’à plus soif ce que les écologistes du monde entier savent bien maintenant : que la surexploitation minière dévaste la planète et tue la vie. Vous êtes au centre d‘une page décisive de l’Histoire du Pérou. C’est à vous de choisir comment vous y apparaitrez pour toujours.

Avec toute ma consideration,

Alfredo Pita

à Paris, le 5 août 2012

Traduction : Ghislaine Delaune


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire